Le problème de la santé mentale en entreprise est un sujet de préoccupation très actuel. Que nous disent les statistiques récentes sur le sujet? Quelle est la réalité des travailleurs et des dirigeants? Quels en sont les coûts et quoi faire si on est aux prises avec ce type de problématique?
Un bref survol de la littérature portant sur le sujet révèle que les problèmes de santé mentale et leurs impacts se sont accrus au cours des dernières années (IRSST, 2010). Environ 21 % des travailleurs(-euse) actifs(-ive) sur le marché du travail, âgé(e)s entre 24 et 60 ans, composent avec un problème de santé psychologique (CSMC, 2011). Près de 400 000 travailleurs et travailleuses prennent des médicaments contre l’anxiété afin de mieux dormir et mieux gérer leur stress à l’emploi. Au niveau des invalidités long terme, 50 % sont liées à des problèmes d’ordre psychologique (CSQ, 2012). La dépression représente la catégorie d’invalidité qui augmente le plus rapidement le nombre de jours de travail perdu en entreprise (Global business and economic round table). On estime qu’il coûte annuellement environ 6,3 milliards aux entreprises en perte de productivité liée à l’absentéisme, au présentéisme et aux coûts engendrés par le roulement de personnel. Ceci représente des pertes énormes en matière de productivité et de rentabilité. Il s’agit donc d’un enjeu de taille et une des principales préoccupations des dirigeants d’entreprise.
Facteurs de risque et de protection en milieu de travail
Les préjugés entourant les problèmes de santé mentale sont très ancrés en chacun de nous. On a longtemps responsabilisé la personne qui traverse une période de vulnérabilité psychologique. Dans les entreprises, il existe encore aujourd’hui, une résistance à reconnaître les problèmes de santé mentale comme étant une problématique tout aussi organisationnelle que personnelle.
Même s’il est difficile de dire ce qui appartient réellement à la personne (bagage génétique, mode de vie, épreuves de la vie personnelle, manque de soutien social, etc.), et ce qui appartient à l’organisation (changements multiples, climat de travail, délais d’exécution, style de gestion, etc.) tout porte à croire que les milieux de travail sont favorables à l’éclosion de la souffrance psychologique en raison des nombreux facteurs de stress qu’on y retrouvent.
Les recherches sur le sujet révèlent qu’il existe des facteurs de risque qui ont une incidence significative sur l’état de santé des employé(e)s. Selon Maranda (2009), le travail est porteur de changements majeurs. La précarisation du travail, les pertes d’emploi, les fusions et les restructurations, le rythme et la charge de travail de même que les horaires qui amputent la vie familiale sont autant de facteurs qui augmentent la vulnérabilité psychologique des personnes. Plus spécifiquement, l’étude SALVEO fait ressortir qu’un travail trop demandant psychologiquement, une supervision abusive, de l’insécurité d’emploi ainsi que la présence de comportements hostiles en milieu de travail figurent au premier plan des facteurs de risque.
En parallèle, les études démontrent qu’il existe des facteurs de protection qui ont une incidence positive sur le mieux être des employé(e)s. Parmi ces facteurs, on retrouve la liberté dans l’exécution de sa tâche de travail, la possibilité de pouvoir prendre des initiatives, la reconnaissance et le sentiment de compétence. L’employé(e) qui exploite son potentiel et qui évolue dans un environnement de travail positif, développe une plus grande confiance et estime de soi servant de bouclier contre la détresse psychologique. Nul doute que les entreprises ont un rôle important à jouer auprès de l’ensemble de leur personnel pour prévenir les problèmes de santé mentale et soutenir les personnes qui traversent une période difficile.
Comment déceler ?
Au niveau personnel, le soutien psychologique des gestionnaires est un facteur clé de dépistage et aussi de protection. Si un employé(e) présente une modification importante dans son comportement, il y a tout lieu de redoubler de vigilance. Ceci peut se manifester par des modifications de l’humeur qui contrastent avec ce qui est habituellement observé. Certaines personnes ont tendance à se replier, à être moins communicatives alors que d’autres deviennent plus volubiles ou agitées. La présence de pleurs, d’irritabilité, de plaintes psychosomatiques plus fréquentes est aussi un indice qu’il y a problème. Dans l’exécution de la tâche de travail, les absences sont plus manifestes. La personne peut aussi présenter de la démotivation, des oublis fréquents, de la confusion et une difficulté à répondre aux demandes de son employeur(-euse) dans les délais prescrits. Au niveau des équipes de travail, on observe des plaintes fréquentes portant sur la difficulté à travailler en équipe, de la médisance, une mauvaise communication, de l’incivilité et de l‘agressivité. Le terreau est plus que fertile pour la détérioration de la santé mentale des individus.
Les gestionnaires qui développent une préoccupation pour l’humain et la qualité des relations ont plus de chance de repérer rapidement les personnes aux prises avec des symptômes de dépression ou autres. Ces symptômes doivent être perçus comme des signaux d’alerte et une démarche s’impose. Démontrer sa préoccupation à l’égard des changements observés chez l’employé constitue un levier important de prévention.
Quoi faire?
Sans jouer au psychologue, le ou la gestionnaire qui démontre de l’écoute et de la compréhension peut aider l’employé(e) à mieux cerner ses difficultés et à se responsabiliser. Il ou elle se positionne comme un facilitateur(-euse) auprès de l’employé(e) dans la recherche active de solutions. Toute intervention dans ce domaine doit couvrir deux aspects; les facteurs de stress qui relèvent de la vie personnelle de l’employé(e) et les facteurs de risque présents dans l’organisation. Au niveau organisationnel, il est important d’évaluer les facteurs susceptibles de générer de la détresse psychologique et d’identifier les accommodements utiles pour prévenir le départ en maladie. Lorsque les symptômes affectent une équipe, un secteur ou différents paliers de l’organisation, l’employeur(-euse) peut recourir à une évaluation diagnostique. Ce type d’évaluation permet de mieux cerner les facteurs de stress présents et d’identifier les interventions susceptibles de les atténuer. Il peut être stratégique de recourir à des services conseils afin d’être guidé et soutenu dans une telle démarche.
Les entreprises sont appelées à se responsabiliser davantage pour favoriser le mieux-être au travail. Ceci passe par une approche axée sur la prévention. Plus on intervient rapidement dans ce domaine et plus on prévient le départ en maladie. La prévention des problèmes de santé mentale passe par un règlement rapide des différends, des pratiques de gestion axées à la fois sur la tâche et l’humain, de même que par la promotion de comportements empreints de civilité. Selon nous, ces critères constituent un facteur essentiel au maintien et à la protection de la santé mentale des personnes au travail. Il n’est plus vrai que la rentabilité passe essentiellement par la productivité. Les employé(e)s qui sont heureux(-euse) et fiers de travailler pour leur organisation sont des employé(e)s efficaces, attachés à leur entreprise et de ce fait, plus rentables.
Ginette Soucy et Marie-Josée Drouin